Alors que « Les Amis de la Terre » viennent de rendre public (le 3 juin 2020) un pamphlet intitulé « Lobbying : l’épidémie cachée », l’AFCL réagit…

On peut reconnaitre un mérite aux Amis de la Terre : ils savent faire du neuf avec du vieux et sont les champions du recyclage. Derrière le sensationnalisme affiché, ils délayent inlassablement leurs attaques contre le lobbying « du secteur privé » – cette incarnation du mal, sans y apporter de nouveauté, mais en affirmant sans montrer. L’ironie de l’histoire, c’est qu’ils font du lobbying sans le savoir, mais en usant des ficelles les plus éculées et les moins glorieuses : amalgames, imprécisions, procès d’intention…

Décryptage d’une stratégie, pas si habile …

D’abord, choisir un angle d’attaque qui résonne avec l’actualité, quitte à passer par un gros raccourci pour imposer son point de vue. Avec le néologisme « coronawashing », ils tentent d’accréditer deux idées : d’une part que le lobbying serait une épidémie de cynisme et d’opportunisme, d’autre part que l’épidémie, bien réelle celle-là, serait instrumentalisée par le secteur privé. Quand on sait quelle crise économique et sociale affrontent ces acteurs, qui est cynique en réalité ? Vouloir sauver son activité, son entreprise, ses salariés, se mobiliser pour cela, est-ce « opportuniste » ? Croit-on sérieusement que les vilains lobbys voient cette crise comme une opportunité ? Où donc vivent nos Amis de la Terre ?

Nos Amis seraient d’ailleurs avisés de reconnaître qu’ils sont eux-mêmes acteurs de cette « épidémie » : ils ont déclaré 4 actions de représentation d’intérêt depuis le début de l’année à la HATVP. Lorsqu’ils écrivent que « les lobbys n’ont fait que recycler de vieilles demandes en les liant fallacieusement à la pandémie », ils sont bien placés pour le savoir : c’est exactement ce qu’ils font !

Ensuite, jouer sur la peur : nos Amis masquent la faiblesse de leurs « révélations » – une compilation d’allégations présentes dans les médias depuis des mois, pompeusement baptisée « rapport » – par un lexique complotiste : « multiplier les attaques », « absence de transparence », « grande offensive », « captation d’argent public », « attaquer et détricoter », « opacité »… et d’invoquer la prétendue collusion entre les lobbys et le pouvoir. Il faut chercher longtemps pour comprendre que les offensives qu’ils dénoncent sont en fait des prises de position assumées par les entreprises visées, que ce soit dans les médias ou en auditions parlementaires, et que les mesures qu’ils accusent d’opacité sont en fait des dispositions votées au grand jour au Parlement et abondamment commentées dans la presse. Niveau révélations, on repassera…

Enfin, invoquer le manque de transparence, indispensable ingrédient de la dénonciation d’un complot : « on nous cache tout, on ne nous dit rien ! ». Les Amis de la Terre réclament la transparence sur tous les rendez-vous et les contacts entre les représentants d’intérêts et les responsables publics. On peut discuter des améliorations à apporter au dispositif d’encadrement du lobbying, et l’AFCL elle-même a fait des propositions en ce sens. Mais charité ordonnée commence par soi-même : pourquoi les Amis de la Terre ne fournissent-ils pas tous ces détails dans leurs déclarations d’actions à la HATVP ? C’est possible ! En bons lobbyistes, qui défendent légitimement – comme tout un chacun en a le droit en démocratie – leurs convictions, ils seraient avisés de commencer par donner l’exemple.

Quelle hypocrisie coupable dans cette démarche, qui feint de regretter la défiance démocratique qu’elle alimente et dont elle se nourrit…

Au fond c’est une occasion manquée, car en jouant de l’outrance et de méthodes douteuses, en se trompant de terrain, nos Amis décrédibilisent leurs revendications, dont certaines sont légitimes et pourraient éclairer le débat public.

Mais il faudrait d’abord accepter le débat, et pour cela reconnaître ne pas avoir le monopole de la légitimité démocratique : oui, le secteur privé peut être porteur d’intérêts collectifs, comme l’emploi, l’innovation, et la multitude des biens et services auxquels chacun peut espérer accéder. Non, le secteur privé (entendre « à but lucratif ») n’est pas le seul à parler aux décideurs et à faire du lobbying.

Il faudrait ensuite qu’ils reconnaissent que le lobbying « en soi » n’est pas une pratique anti-démocratique et qu’au contraire, il participe au bon fonctionnement de la prise de décision publique, notamment en ce qu’il permet d’éclairer les décideurs par un dialogue contradictoire et constructif entre toutes les parties prenantes. C’est précisément pourquoi les Amis de la Terre font du lobbying…

On peut critiquer l’avocat qui défend le pollueur, remettre en cause la décision d’un juge, mais il est malhonnête et dangereux de critiquer le droit de pouvoir être représenté dans un procès. Dans notre République, où les représentants de tous les intérêts ont le droit constitutionnel de se faire entendre sous certaines conditions, tous les cinq ans, les citoyens peuvent choisir de changer leurs élus s’ils sont mécontents des décisions prises.

Chers Amis, c’est sur le terrain des idées qu’il faut débattre, pas sur celui de la polémique et du procès d’intention ! Abandonnez donc les vieilles ficelles du lobbying à la papa et passez (ou revenez) au lobbying de conviction, au plaidoyer, aux arguments, le débat démocratique ne pourra qu’y gagner.